BIOGRAPHIE de Georges SADOUL

 

                                         Thèse inachevée de CHAUVILLE

 

 

 

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Le long inventaire précédent, représentant des rayons de bibliothèques couverts d.épais volumes, d’imposants cartons d’archives et des milliers de coupures de presse ne doit pas submerger le point de focalisation de notre étude: I’irruption dans la vie, la personnalité et Iloeuvre d1un homme. Un homme dans le siècle, né au cœur de la Belle Époque du président Loubet, qui va grandir et vieillir dans un pays dont il va accompagner le destin jusqu’à I’automne 1967, quelques mois avant l'effervescence de mai 68 qui ébranle les certitudes du régime gaulliste.

Bien sûr, ces soixante-trois années de traversée d’histoire n’auraient a priori à eux seuls pas d'intérêt particulier pour l'historien, pour qui chaque destinée humaine serait alors susceptible d'attirer l'attention, rendant ainsi sa tâche impossible. Mais lorsque cette existence rencontre la notoriété, se nourrit d'engagement politique et idéologique et laisse à la postérité une oeuvre écrite et des traces mentales, voire une influence durable, elle devient un vrai objet d’étude historique et mérite qu'on s'y arrête longuement.

 

C'est le cas de la vie de Georges Sadoul dont l'itinéraire fertile embrasse des phénomènes aussi fondamentalement marquants pour le vingtième siècle français mais aussi européen et même mondial, que le surréalisme, le communisme, la Résistance ainsi que, surtout, ce qui est devenu l'art du siècle: le cinéma. L’.amour du cinéma reste la composante permanente et liante d'une existence qu'on peut, pour raisons de commodité, évoquer en plusieurs phases successives: l'enfance et la jeunesse lorraines, les années surréalistes, I’engagement des années Trente, la guerre et la Résistance, le militantisme de guerre froide, le dégel et l'épanouissement de la passion pour le cinéma, thèmes que nous évoquerons, en les regroupant, en trois temps.

 

 

 

 

 

1 -Formations (1904-1932)

 

1 11 -Enfance et adolescence d’un jeune lorrain

 

1 11. a- Oriqines et environnement familial

 

C'est en 1904 en Meurthe et Moselle que naît Georges Sadoul, la même année -hasard anecdotique mais savoureux ­que le journal L' Humanité qui accueillera si souvent sa plume. Le 4 février, à Nancy, Anna Claude, épouse Sadoul, met au monde son second enfant, Georges, qui vient rejoindre Paulette, née deux ans auparavant, mais qui décédera prématurément à l'âge de cinq ans d'une méningite tuberculeuse. La disparition de la fillette frappe de plein fouet la jeune mère, qui aura bien du mal à surmonter le choc. Georges, encore bambin, est ainsi cruellement privé de son aînée. Un diagnostic médical après la naissance de Georges laissait entendre que des complications gynécologiques amoindrissaient sérieusement les chances du couple d'agrandir la famille. Mais, contre toute attente, suivent deux filles, Jeannette (en 1912) et Madeleine, dite Maton (en 1914) et un autre garçon, Paul (en 1918). Le spectre de la mort de Paulette et la résignation à une possible stérilité avaient poussé loin de tout comportement malthusianiste, assez répandu sous la Belle Époque, ce couple unissant depuis octobre 1899 deux enfants issus de deux familles de notables lorrains.

Les Claude appartenaient à ce milieu d'entrepreneurs, entre commerçants et industriels, de la vallée de ~telles, possédant sous le Second Empire, des tissages, la boulangerie et l'auberge d'un village. De ce milieu somme toute modeste pour Nicolas et Charles, le grand-oncle et le grand-père paternel de Georges Sadoul, ils vont grimper rapidement dans l'échelle sociale. Après de bonnes études, Nicolas Claude est engagé comme précepteur auprès des enfants d'un industriel local. Suite au décès précoce de ce dernier,

 Nicolas Claude épouse sa veuve et se voit propulsé à la tête de filatures, poste important qui le mène à exercer des fonctions sénatoriales. Dans la "République des Jules", il se situe au sein du centre, pas très loin des amis de Thiers. A sa mort, son frère Charles liquide sa part dans les affaires familiales et vient se retirer avec sa famille dans les Vosges, à Raon l'Étape, où vivent les Sadoul qui deviennent bientôt des amis.

Il faut dire que ceux-ci se situent au sommet de la bonne société locale. Victor Sadoul, alsacien d'origine (né à Strasbourg en 1811) avait été nommé receveur des postes vers 1835-1840 à Raon et avait épousé la fille du brasseur de la ville. Leurs fils Adrien Sadoul avait lui aussi gravi les échelons sociaux, fréquentant Jules Ferry et les milieux républicains, où les Vosgiens jouent un rôle important en ces années 1870-1875. Son fils Charles Sadoul, le père de Georges, est né en 1872 mais il se retrouve orphelin dès l'âge de six ans. N'ayant que peu connu son père, il n'en a pas moins hérité un profond attachement à sa région, ce que ses lectures d'adolescents prouvent. A dix-sept ans, il demande la main d'Anna Claude qui lui est refusée pour excès de jeunesse. Il lui faudra attendre dix ans. En attendant, il aura mené des études de droit jusqu1au doctorat, niveau exceptionnel pour l'époque, à l'instar de son oncle paternel Lucien, magistrat. Sa thèse de doctorat en droit à l'université de Nancy en 1898, publiée aussi à Paris et intitulée: «Essai historique sur les institutions judiciaire~ des duchés de Lorraine et de Bar avant les réformes de Léopold 1e »;.suffit à donner idée de l'amour porté çà sa province.

Sans adopter un postulat freudien d'analyse et partir de l'enfance du petit Georges pour éclairer certaines expériences ultérieures, il nous semble cependant extrêmement utile de nous attarder sur la personnalité paternelle, pour du moins donner idée de l'ambiance familiale qui a présidé à l'éducation de l'enfant. Charles Sadoul possédait une fortune personnelle, et, si l'on en croit André Thirion dont le père en fut l'ami, il était «titulaire d'un portefeuille d'assurances dont la gestion ne posait aucun problème »1. Il avait comme cela se pratiquait fréquemment au tournant du siècle dans ces milieux acheté un portefeuille d'assurances et grâce à son réseau de relations, son affaire de «directeur particulier» prospérèrent, avec cinq ou six employés travaillant dans ce gros cabinet d'assurances auquel il ne consacrait d'après son fils cadet qu'une heure chaque jour.

 

 

2 Nancy, imprimerie de A. Crépin-Leblond, 1898,231 p. (BN 8°F 12620) et Paris, Berger­

Levrault, 1898, 233 p. (BN 8°F 11968(4) ).

1 In THIRION (A.), Révolutionnaires sans Révolution, p 65.

 

 

 

 

Délivré ainsi de tout souci de subsistance matérielle pour sa famille et bénéficiant de larges plages de temps libre, Charles Sadoul pouvait s'adonner à sa grande passion pour sa région, la Lorraine, et pour tout ce qui pouvait s'y rapporter: l'art, le folklore, la tradition, la politique et l'histoire locales. Collectionneur, \ Charles Sadoul aménageait selon ce hobby sa demeure  nancéenne du 29 de la rue des Carmes comme sa résidence secondaire de Raon l'Étape, avec des meubles, des objets, des livres lorrains.

C'est dans cet environnement feutré, dans une atmosphère bourgeoise et studieuse que grandit Georges Sadoul. Son père fréquente les milieux intellectuels et entretient en particulier des relations particulièrement amicales avec Maurice Barrès lui-même, de dix ans son aîné, qu'il a pourtant un moment chahuté au moment du boulangisme qui avait séduit l'écrivain. Il .semble. entretenir aussi entretenir des rapports assez proches avec !’'historien Louis Madelin, tous d eux faisant partie du groupe qui fonde Le Pays Lorrain en 1904. Cette revue populaire s'adresse tout particulièrement à un lectorat de notables villageois, les instituteurs de la troisième République et les curés de campagne, une clientèle que Charles Sadoul a à cœur de fidéliser. Deux ans plus tard, il fonde avec les encouragements de Barrès La Revue lorraine illustrée, plus luxueuse et dont les colonnes sont alimentées par les contributions de notables rentiers amateurs d'art et d'écriture. Juriste attiré par l'histoire régionale, il s'adonne aussi à l’ethnographie régionale en collectant en compagnie du père d'André THIRION «tout ce que l'on pouvait encore savoir de la chanson populaire lorraine »3 avant de devenir en 1909 conservateur du musée lorrain de Nancy, L'un des premiers musées d’art et traditions en date, fondé en 1850 par des patriotes lorrains. La curiosité, le goût de la recherche et de l'activité, l'attirance pour l'art et la culture, étaient des caractéristiques sensibles de sa figure paternelle pour Georges Sadoul, et qu'il a pu prendre comme modèle.

Une autre dimension du personnage, toujours liée à sa fibre lorraine bien enracinée, était, malgré un

penchant libéral, depuis sa jeunesse un patriotisme lorrain acharné et une hostilité vengeresse envers le Reich allemand, occupant la Moselle et l'Alsace voisines. Il a toujours été attiré par l'engagement politique et

fut , selon son fils Pau!, très tôt dreyfusard.; ne le cachant pas a sa famille mais l l'avouant a Anna, alors sa fiancée. Il pourra concrétiser sa soif d'engagement politique et extérioriser ses sentiments patriotiques grâce à son élection comme conseiller général des Vosges pour le canton de Raon l'Étape. Le père de

       IL Manque une page

3 In THIRION (Ae ), op. cite p. 65.

 

 

1/1.b-Amitiés et passions adolescentes

 

Sur le plan scolaire, Georges Sadoul suit la même filière que son père en entrant en 1922 en première année de droit à la faculté de Nancy. Il ne lui a semble-t-il pas imposé son choix! cette option s'étant posée naturellement, par l'habitude de la tradition familiale. Par J'intermédiaire de leurs pères, André Thirion et Georges Sadoul font alors connaissance et le témoignage du premier nous est ici très précieux car c'est le seul qui nous donne idée du personnage à l'époque. Plus jeune et encore lycéen, Thirion le trouve alors «renfermé, distant, exagérément caustique, prétentieux » 5 mais ces réserves vont bientôt tomber et une forte amitié de dix ans va naître entre les deux garçons. Le récit de Thirion, s'il reste l'essentiel de notre documentation sur cette période peut être complété par les «Souvenirs d'un témoin», l' «embryon» de mémoires laissé par Georges Sadoul (6). On y apprend qu'au début des années 20, Georges Sadoul était déjà fou de cinéma, qu'il fréquentait les salles obscures nancéennes avec assiduité, six fois par semaine, et dévorait Cinéa , la revue cinéphile à laquelle il était abonné et qu'avait fondée Louis Delluc. Ce détail aune importance non négligeable dans la formation du paysage mental du jeune homme. Delluc deviendra et restera en effet l'une des références les plus solides de l'historien du cinéma qu'il deviendra.

Durant cette première partie des Années Folles, derrière une véritable boulimie de films, les premiers goûts cinématographiques de Sadoul s'esquissent et il se souviendra s'être enthousiasmé pour des westerns, des sériais et les films impressionnistes de Delluc et L'Herbier. De cinéphage il devient cinéphile et démontre déjà à dix-huit ans une curiosité pour tous les horizons cinématographiques ainsi qu'une aversion pour la censure, comme en témoigne l'épisode de la pétition qu'il .initie pour voir Le cabinet du Docteur Cali gari , de Robert Wiener , film interdit par la municipalité de Nancy car «boche» et qu'il

parviendra effectivement à voir dans un casino banlieusard. .. Cette cinéphilie affamée met à mal une légende qui a parfois couru, d'une prétendue venue de Sadoul au cinéma à un âge déjà avancé et de ce fait, une certaine méconnaissance de cet art. En 1920, Sadoul aimait déjà indéniablement passionnément le cinéma. Si des théories affirmant le contraire ont circulé, ce fut peut-être par hostilité! ce fut peut-être aussi par confusion, par

 

-5 Ibidem, p. 66.

6 Voir SADOUL (G), Rencontres, pp 38-52.

oubli de ce qui fut une composante, certes principale, d'un intérêt immodéré pour tous les arts, que partageait son ami THIRION. C'est toute l'aventure du comité NANCY-PARIS qui sera inspirée par cet engouement.

Inséparables à partir de 1922, Sadoul et THIRION étaient tous deux attirés par les arts: l'architecture, la littérature et surtout la peinture 7. Les deux jeunes gens éprouvaient une «impression de confinement à Nancy » et cherchaient à s’en évader. Leurs lectures avaient une fonction dans ce sentiment. Sadoul lisait beaucoup et utilisait son argent de poche à l'achat de jeunes revues, de livres, avec une inclinaison pour Proust et les premières traductions de Freud8. En outre, la bibliothèque familiale lui fit découvrir beaucoup

 d’œuvres, ainsi qu'à son ami, comme «tout Fantomas avec les merveilleuses couvertures illustrées de l'époque »9. Thirion juge que ces lectures de 1922-1924 ont eu une influence primordiale sur leur esprit, ruinant définitivement pour eux toute littérature «moderne» (sic). Nous ajouterons que Fantômas prendra une place de choix dans le système de valeurs et de références sadouliennes et il est certain que la lecture de ce feuilleton a précédé dans sa vie la vision du sériai tiré par Feuillade 10.

 

Mais, si Iton en croit Thirion, «la peinture l'intéressait plus que les lettres ». Sadoul, lui-même assez doué pour le dessin, fréquentait assidûment le musée de peinture de Nancy, détestait selon Thirion I’.impressionnisme (en particulier les Nymphéas et les cathédrales de Monet), ce que nie farouchement Paul Sadoul, et ne sauvait de la peinture française que Georges Seurat et Cézanne, avant de s'enthousiasmer pour le cubisme, Braque et Picasso. Mais, dans le domaine artistique, un voyage en Jtalie en 1923 «fixa son goût pour quelque temps » selon Thirion:

« Il revint conquis par Florence, la cathédrale d'Assise, les tours de San Gimignano et par les fresques de Piero della Francesca et de Paolo Ucello. Il en conçut une théorie discriminatoire de la peinture selon que la surface de la chose peinte est lisse avec des contours nets ou que le souci de la matière et des effets de lumière I 'empor1e. Il jetait au feu Rubens, Rembrandt, Fragonard, Delacroix, même Dürer, faisait toutes réserves sur les Allemands de la fin du XV e siècle » Il .

 

 

Mais d’amateur « passif », Sadoul  brûle d’entreprendre une

approche active de sa passion pour l’art et profite de la position de son père pour

publier dans Le Pays Lorrain. Son premier article concerne la Relève  d’ Henry de Montherlant;. D’autres suivront  comme celui sur le peintre lorrain Claude Bellange,, d'une grande lucidité » selon Thirion 12"

 

 1-2 LE COMITÉ Nancy-Paris 

 

1 - 2. a- Agir, organiser, rencontrer

 

Le passage à I’action se traduit aussi et surtout mise sur pied du Comité «Nancy-Paris», dont la création répond également à la lassitude du jeune Sadoul envers la vie

 provinciale et le sentiment étouffant de vivre dans une enclave mal informée et aux

horizons restreints. Thirion en rend compte:

«En 1922, il ne se sentait pas à l'aise dans sa province

rien ne lui paraissait respectable ou digne de considération à l’exception des mœurs bourgeoises. Il avait envie de voyages, de belles étrangères, de costumes et de cravates dans le goût anglo-saxon et d’interlocuteurs moins bornés que les intellectuels de province »13

 

Cette sensation est poussée au paroxisme par plusieurs voyages vers Paris et l’idée germe « d’animer Nancy »

 

 

 

7 Par contre, Thirion assure que Sadoul n'était pas mélomane pour deux sous: « Il disait avec

satisfaction qu'il s'ennuyait au concert ». In THIRION (A. ), op. cit.

8 In THIRION (A. ), op. cit. , p. 68.

9 Ibidem, p. 69.

10 In SADOUL (G. ), Rencontres, p. 40. Des surréalistes, seul Prévert avait vu ce sériai.

Il In THIRION (A.), op. cit. , p. 72.

 

 

FIN DE LA Thèse inachevée .