Charles (Xavier Marie) SADOUL & Anna CLAUDE

Né à Raon l’Étape le 24 mai 1872

Mort à Nancy, le 15 décembre 1930

A épousé à Raon, le 24 octobre 1899 Anna Claude ( née à Celles sur Plaine, le 27 juillet 1878)

L’enfance et la jeunesse de mon frère ressemblent bien entendu tout à fait à mon enfance et à ma jeunesse. Je les rappelle sous une forme très résumée. École de Raon, Lycée en 1882, Faculté de droit jusqu’au doctorat.

Mon frère fut au lycée un élève assez fantaisiste, esprit vif, mais se pliant peu au travail scolaire, ayant des goûts marqués pour la littérature, mais la travaillant surtout si elle n’était pas dans le programme, passionné pour les livres, les bibelots, l’histoire locale, il arriva au bout de ses études secondaires avec quelques retard, mais possédant un bagage littéraire déjà complet. A la Faculté, il fut un très bon étudiant et passa ses examens sans difficultés. Il n’aurait peut-être pas fait son doctorat si ce diplôme n’avait pas alors été nécessaire pour ne faire qu’un an de service militaire. Il prit tout naturellement pour sa thèse un sujet d’histoire locale : les institutions judiciaires de la Lorraine avant la réforme de Léopold, et le traita très convenablement. Dans l’été de 1899 une chance heureuse lui permit d’obtenir le portefeuille des assurances générales à Nancy et peu après le 24 octobre il se maria. En 1902, il acheta une maison et s’installa 29, rue des Carmes. Mon frère n’a donc jamais quitté Nancy, sous réserve de grandes vacances qu’il passait à Raon où il avait repris en 1909 la maison de ses beaux parents, 1, rue Jules Ferry.

Mon frère se fatiguait beaucoup, il n’était pas très prudent dans les soins de sa santé qui autrefois avait été excellente, elle déclina peu à peu et au mois de décembre 1930, une fluxion de poitrine l’emporta en quelques jours.

Je me bornerai à ce très sec résumé biographique. Ma belle sœur s’est chargée de rappeler la vie de son mari et elle l’a fait beaucoup mieux que moi.

J’ajouterai seulement que mon frère et moi avions l’un pour l’autre une très vive affection. Bien que de caractères assez différents, notre union était étroite et il ne se passait guère de jours sans que j’aille le voir et causer avec lui. Sa mort a été pour moi un coup très dur. Ces relations étaient et sont encore les mêmes avec sa femme qui est pour moi une véritable sœur.

SADOUL (Charles) Né à Raon l'Étape en 1872, mort à Nancy le 15 décembre 1930.

Depuis près d'un siècle, le nom de la famille Sadoul est lié à la belle aventure de la revue Le Pays Lorrain et à celle du Musée lorrain à travers la Société d'archéologie de Lorraine. Docteur en droit à la faculté de Nancy, Charles Sadoul, créateur de sa revue en 1904, conservateur du Musée lorrain en 1910, conseiller général du canton de Raon l'Étape de 1919 à 1930 est le chef de file des lotharingistes.

D'abord il est Raonnais, fidèle à une cité où son père Adrien (1841-1879), brasseur, fut adjoint au maire et conseiller général de 1871 à 1879. Louis Madelin le situe dans son fief familial jamais abandonné : "Il y tutoyait la moitié des hommes, ayant été, dans sa première enfance, élève de l'école primaire et restant, très réellement, charmé que telle circonstance l'eût encore plus ancré, enraciné dans le pays ; il aimait voir s'élever les fils de ceux qu'il y avait connus. "La terre et les morts" disait Barrès, cherchant les fondements de son attachement à la Patrie, grande ou petite. Sadoul eût dit : "La terre et les vivants".

A Raon l'Étape, le conseiller général développe les initiatives sociales. Il crée le comité cantonal d'hygiène et la consultation gratuite des nourrissons. C'est là qu'il effectue sa dernière sortie publique, moins d'une semaine avant son décès, en présidant le 7 Décembre 1930 la fête de Saint Nicolas, joliment racontée précédemment dans un article.

Naissance du "Pays Lorrain"

Avant la création du Pays Lorrain, Charles Sadoul indique son intérêt pour la Lorraine en consacrant sa thèse de doctorat (1898) à un « essai historique sur les institutions judiciaires des duchés de Lorraine et de Bar avant les réformes de Léopold 1er ».

La revue naît dans le courant régionaliste du début du siècle, exprimé par le programme de Nancy de décentralisation, l’école scientifique du docteur Bernheim, celle, artistique et industrielle d’Émile Gallé, les écrits de Maurice Barrès et l’agitation de publicistes comme Goutière Vernolle ou René d’Avril.

Celui-ci a raconté la genèse du projet de Charles Sadoul. Le point de départ est une participation à la Fédération régionaliste française du jeune avocat, originaire de Vigneulles-lès-Hatton-Châtel, Henri de la Renommières, baron de Saint-Baussant (1876-1904), qui signe ses poèmes Jean Dheures. Après une conférence à la salle Poirel du président de la Fédération régionaliste, Henri de la Renommière crée l’Union régionaliste lorraine. Pour souder cette association, attendue mais un peu floue, Charles Sadoul propose un plan d’action basé sur une revue structurée et cohérente.

René d’Avril, qui, avec Pierre Briquel et le baron meusien, avait créé La Grange Lorraine situe l’esprit de l’entreprise : « Le Pays Lorrain naquit du désir obscur de bien des gens de chez nous d’avoir un organe à eux, qui les exprime et où ils puissent, à volonté, s’exprimer eux-mêmes. La jeunesse d’alors qui prêtait peut-être aux choses de l’esprit plus d’attention que celle de nos jours, comprenait, à des signes certains, que la Lorraine n’était pas un mot mais un réservoir d’énergies » (Le Pays lorrain, janvier 1931).

L’enthousiasme habite l’équipe réunie autour de Sadoul : René Perrout le Spinalien, Émile Moselly le Toulois, George Chepfer le Nancéien, Jean-Julien Barbé le Messin. Dans l’hommage de la revue à son animateur, Louis Madelin explique ainsi cet élan de générosité : « Charles Sadoul, écrit-il, « fait du bon travail parce qu’il est gai », me disait, un jour Maurice Barrès. Il faisait du « bon travail » pour bien d’autres raisons que je voudrais dire : mais toutes les fois qu’après une séparation de quelques mois, j’abordais Sadoul, le mot de Barrès me revenait à l’esprit : c’est qu’effectivement cette « gaîté » n’était pas seulement un des traits séduisants de sa physionomie , et un témoignage de ce qu’était son âme mais tout ensemble – Barrès avait raison, un principe fécond d’activité par son esprit et tout à la fois un puissant moyen de rayonnement ».

Contes et fiauves

S’inspirant de l’exemple de la Revue d’Alsace illustrée, Charles Sadoul lance la Revue lorraine illustrée dont le premier numéro, sous une couverture de Victor Prouvé, paraît en février 1906. Dans le prospectus d’annonce qu’illustre un village de la vallée de la Moselle en une aquarelle de Louis Hestaux (1858-1919), le dessinateur messin, plus proche collaborateur d’Émile Gallé, le directeur de la publication écrit : « Le Pays lorrain et la Revue lorraine illustrée formeront en réalité une seule publication. Leur programme et leur direction seront les mêmes. Dans Le Pays lorrain, mensuel, on trouvera plus spécialement à côté des contes, des nouvelles et des fiauves, des articles historiques ou rappelant nos traditions. Dans la Revue lorraine illustrée, trimestrielle, paraîtront les travaux relatifs aux beaux-arts, à l’archéologie pittoresque, à nos sites peu connus ».

Ainsi la vigilance de Charles Sadoul couvre-t-elle l’ensemble du panorama culturel et folklorique. Un homme des Vosges comme lui appréciait les contes auxquels il réserve la meilleure place. Accueillant pour le Sotré, il pousse la curiosité jusqu’aux superstitions et à la sorcellerie avec son Antoine Grévillon, sorcier et devin du Val de Ramonchamp, brûlé à Arches en 1625. Proches des fiauves, les chansons populaires le préoccupent. Charles Bruneau estime qu’il fut, dans ce domaine, pour la Lorraine romane l’équivalent de l’abbé Pinck en Lorraine mosellane. George Chepfer, qui livra sa « Dame de Saizerais » dans les premiers numéros du Pays lorrain raconte qu’il frappa de porte en porte, à Amance, pour recueillir des refrains paysans avec Charles Sadoul et son épouse.

Secrets de cuisine

Créateur de la section d’art populaire du Musée lorrain en 1910, Charles Sadoul veille aussi à la conservation du mobilier. Comme il monte à Amance pour transcrire les notes d’un chant, il file à Haraucourt pour récupérer le métier à tisser que, trop âgé, abandonne un père Courtot. Dans la bibliographie de son Dictionnaire du mobilier de Lorraine (1995), Francine Roze cite deux de ses livres : l’Art rustique et bourgeois lorrain (1919) et Le Mobilier lorrain (1926). Même la cuisine lorraine et heureusement paraît au sommaire des préoccupations de Charles Sadoul qui lui consacra deux articles, publiés après son décès en 1935 et 1936, avec un clin d’œil particulier à la meurotte de truite.

Historien, Charles Sadoul ne surveille pas que le goût du fumet. Il évoque Joseph Gilliers, chef d’office et distillateur de Stanislas qui, en 1768, dédia au prince Ossolinski Le Cannaméliste français, sous la forme d’un dictionnaire, sans référence au fameux baba attribué, à tort, au roi de Pologne. Il rappelle également le souvenir de Christophe Alnot, fils d’un chef de cuisine de Stanislas. Cet « Alnot traiteur », qui avait boutique rue St Julien à Nancy, prépara en 1817 à Berlin le repas de mariage de Nicolas, futur tsar de Russie, et de la fille du roi de Prusse, Frédéric Guillaume II. Alnot fut un peintre de bonne réputation. Le gourmet Sadoul évoque une de ses recettes : épinauds mijotés pendant plusieurs heures dans du jus de veau, puis du jus de cochon et de jambon, jus de volaille ou de gibier (Le Pays lorrain, 1935).

N’est-ce pas là l’ultime détail qui, selon l’expression de Louis Madelin, fait de Charles Sadoul « un parfait Lorrain » ?

CHARLES SADOUL PAR SA FEMME

Charles Sadoul était d’aspect méridional, son ancêtre Fulcran aurait reconnu son sang, brun de peau, noir de cheveux, le buste long, les jambes courtes, ce qui le faisait paraître plus petit qu’il n’était réellement car sa taille était moyenne. Ses traits réguliers lui donnaient une vague ressemblance avec Napoléon 1er quand il ramenait sa mèche, fronçait les sourcils et prenait un air sévère qui ne lui était pas habituel, car sa physionomie était naturellement souriante. Une intelligence prompte à saisir et à assimiler toutes choses, un caractère vif, tempéré par une bonté extrême le rendaient sympathique à tout le monde. A Raon il tutoyait tous ses contemporains, ramoneurs et tâcherons, peu lui importait, son plus grand plaisir était d’obliger ses compatriotes.

Il était curieux de tout, mais surtout du passé, je crois qu’il n’avait pas douze ans, quand il commença à s’intéresser aux médailles anciennes et acheta ses premiers livres d’histoire. Collectionneur né, il savait dénicher des choses précieuses ou simplement curieuses dans les endroits les plus divers. Les boutiques des antiquaires, les bibliothèques, les archives l’attiraient également mais il aimait à cultiver son jardin, à menuiser, partout où il a vécu on retrouve un atelier où il encadrait les gravures, réparait les vieux meubles. Grand travailleur, il aurait eu besoin d’une longue vie pour mettre en œuvre les innombrables fiches qu’il avait amassées sur la médecine populaire, le folklore, le patois lorrain, quand il avait approfondi un sujet, il n’allait pas plus loin et passait à un autre qui le passionnait également. Ils sont légion ceux qui ont eu recours à son érudition pour fixer un point d’histoire, une coutume locale, si on consulte sa volumineuse correspondance, on se rend compte de sa prodigieuse activité, on a dit qu’il était un grand animateur, rien n’est plus vrai.

Homme de tradition et de famille, il devait songer à se marier jeune et il n’avait pas 24 ans quand il me demanda en mariage. Je n’avais pas alors tout à fait 17 ans et c’est assez justement que ma famille répondit qu’on reprendrait les pourparlers plus tard, quand Charles aurait une situation. Ce n’est qu’après une attente de plus de quatre ans que notre mariage eut lieu, le 24 octobre 1899 à Raon l’Étape. Si ces quatre années avaient fortifié notre attachement mutuel, elles nous avaient valu des moments bien pénibles ; ma sœur et mon frère Ernest pour des raisons vagues, des froissements stupides avaient tout mis en œuvre pour empêcher un mariage qui avait été désiré par mon père, mort hélas en 1894 et que ma pauvre maman approuvait du fond du cœur. Je crois que l’amour de la Lorraine fut pour beaucoup dans le choix que Charles fit de moi. Lorraine pur sang. On retrouve jusqu’à 1600 environ, des Claude, des Valentin, des Mougeot, des Ména à Celles, à Allarmont, Saint Quirin, Lorquin, Bertrambois, comme meuniers, verriers, cultivateurs et chose curieuse une Ména avait vers 1750 été témoin du mariage d’un Sadoul à Strasbourg.

Sans remonter si loin, ma grand mère Claude était une amie de la grand mère Tresté, et ma belle mère aimait à rappeler que mon père avait été la seule personne étrangère à la famille Sadoul qui ait assisté au baptême de Charles, son futur gendre. La famille Claude Valentin habitait Celles sur Plaine depuis plusieurs générations comme la famille Sadoul habitait Raon.

Un frère de mon père, Nicolas Claude, Sénateur des Vosges, grand ami de Jules Ferry et de J.Méline avait siégé au conseil général des Vosges auprès de son ami Adrien Sadoul, ils avaient ensemble combattu pour la République.

Mon grand père J.B Claude, de Celles était mort de bonne heure et ma grand mère Marie Anne avait durement peiné pour élever ses quatre fils. Mon père Charles Claude, un des aînés, l’y avait aidé de son mieux et ses frères Nicolas et Joseph (le plus jeune des frères Claude étant mort à 20 ans) lui en étaient restés très reconnaissants. Mon oncle Nicolas Claude avait dirigé à Saulxures sur Moselotte, les filatures de Madame Gehin et plus tard en était devenu propriétaire. Maire de Saulxures, puis sénateur des Vosges, il avait essayé d’améliorer le sort des ouvriers, l’hygiène déplorable du pays ; ses travaux sur l’alcoolisme sont restés célèbres.

Il avait appelé mon père à la direction d’une école de fromagerie en 1880, après la mort de ma grand mère Claude. C’est à Saulxures que j’ai passé mon enfance jusqu’à la mort de mon oncle Nicolas en 1888. Après bien des hésitations mon père avait abandonné les filatures de Saulxures où mes frères Paul et Ernest, ce dernier ingénieur sorti de Centrale, auraient pu se faire une belle situation, et s’il est venu se fixer à Raon, en y achetant la maison que nous habitons encore, c’était beaucoup pour y retrouver son vieil ami Victor Sadoul, en même temps qu’il se rapprochait de son village de Celles sur Plaine.

C’est en octobre 1888, que nous sommes venus habiter à Raon, mes parents, mon frère aîné Paul et moi. Ma sœur Marie de 18 ans plus âgée que moi avait épousé en 1881, son oncle à la mode de Bretagne, Auguste Ména alors garde général des Eaux et Fôrets à Arboy (Jura). Ils avaient eu quatre enfants, pas beaucoup plus jeune que moi et qui étaient plus mes frères et sœurs que mes neveux et nièces. En 1888, ils habitaient à Épinal et j’ai vécu deux ans chez eux, en étant demi pensionnaire au Couvent des Oiseaux. Mon frère Paul était mort en 1893 et mon père l’avait suivi en 1894. J’étais à ce moment pensionnaire aux Dominicaines de Nancy, mais ma mère se trouvait si seule après ces deuils qu’elle me conserva près d’elle. Mon frère Ernest ne tarda pas à revenir aussi à Raon, il avait dirigé les carrières de granit de Fernay qui appartenait à mon oncle Joseph Claude et n’y avait pas réussi, pas plus qu’il ne réussit à conduire une usine de dominos à Méru (Oise).

Mon frère était cependant très intelligent, très cultivé, mais sa paresse naturelle, son amour du plaisir et du moindre effort en on fait un inutile comme tant de jeunes gens de sa génération. Il est mort en 1904 laissant un testament qui me déshéritait à cause de mon mariage, testament écrit le 2 novembre 1899 et qu’il n’aurait pas ratifié je crois au moment de sa mort, car nos relations s’étaient fort améliorées, mais au début de mon mariage j’ai vraiment souffert de l’hostilité marquée de ma sœur et de mon frère. Le testament d’Ernest a encore refroidi nos relations avec ma sœur qui à ce moment a été tout à fait injuste vis à vis de Charles et a fait cruellement souffrir ma pauvre maman qui est morte en essayant de nous réconcilier en janvier 1909.

Notre grand bonheur intime me consolait de toutes ces tristesses. Le 17 août 1901, nous avions eu une fille Paule et le 6 février 1904, un fils Georges. Charles avait été nommé en juillet 1899, Directeur particulier de la Compagnie d’Assurances Générales à Nancy. Après notre mariage nous nous étions installés 54, rue Stanislas, c’est là qu’est née notre fille Paulette, puis en 1902, nous achetions la maison que j’occupe encore 29, rue des Carmes. Charles s’était appliqué à son métier d’assureur, mais bientôt il retourna à ses chères recherches historiques, s’en remettant avec sa belle confiance à l’honnêteté de ses employés, pas toujours parfaite, hélas, ils les dirigeait paternellement, ses nombreuses relations lui attiraient des clients et son chiffre d’affaires augmentait malgré tout.

En 1901, il passait le meilleur de son temps aux archives où il faisait des recherches sur la sorcellerie en Lorraine et la médecine populaire.

C’est l’année suivante qu’au cours de nos vacances (que nous passions régulièrement à Raon) Charles entendit avec quel bonheur, la jeunesse Raonnaise chanter les vieux « rondiots » d’autrefois, en dansant sur les places publiques. Charles recueillait les paroles, Louis THIRION, alors organiste à Baccarat, notait la musique et c’est ainsi qu’en quelques années, plus de deux cents vieilles chansons lorraines ont été recueillies.

En 1903, Charles Brun, directeur du mouvement régionaliste alors en faveur, était venu à Nancy et avait groupé autour de lui une jeunesse prompte à s’enthousiasmer. Bientôt Henri de la Renomière, Ch.Berlet, René d’Avril, E.Nicolas, H.Cabasse et Charles Sadoul décidaient de fonder une revue régionale (le Pays Lorrain et le Pays Messin) qui devait faire mieux connaître la Lorraine et conserver l’esprit français en Lorraine annexée. Le premier numéro parut en janvier 1904 et Charles s’en occupa si activement, si entièrement, qu’on lui laissa bientôt toute la direction. Ce fut la grande œuvre de sa vie. Il su y intéresser de grands écrivains tels M.Barrès, L. Madelin, A. Mallays, L. Bertrand, et nous réunissions souvent autour de notre table les plus fidèles collaborateurs lorrains, R. Brice, H. Poulet, G. Chepfer, Moselly, Varenne, Ealdensperger, et surtout René Perrout, presque aussi passionné que Charles pour le pays Lorrain et plus tard la Revue Lorraine.

En 1905, M.Barrès qui suivait attentivement les progrès du petit Pays Lorrain et était devenu pour nous un véritable ami envoyait à Charles le docteur Fucher, alors à la tête du mouvement français à Strasbourg. Pour y aider, il avait fondé la luxueuse revue Alsacienne, il voulait que Charles dirigea à Nancy, sur les mêmes bases et le même plan la Revue Lorraine. Il était entendu que Barrès fournirait les premiers fonds. Fucher, que ses amis appelaient souvent Cagliostro et qui était un charmeur, fut éloquent. Charles ne demandait d’ailleurs qu’à se laisser persuader. La Revue Lorraine, publication trimestrielle était fondée et son premier numéro paraissait en février 1906. Belle revue d’art s’intéressant aussi bien à l’école de Nancy qu’aux vieilles ruines lorraines, elle était splendidement illustrée et acquit une juste célébrité.

Comme si ces revues ne suffisaient pas à l’occuper, c’est vers cette époque que Charles commença la table de la Société d’Archéologie, œuvre de patience et d’érudition qu’il a voulu compléter après la guerre et que P.Marot continue.

Les épreuves étaient venues pour nous, d’abord la mort de mon frère Ernest qui n’avait que 37 ans, le 30 janvier 1904 et les tristesses qui l’avaient suivie. Le 5 décembre 1904, André Sadoul mourait lui aussi à 27 ans. Cette mort fut un grand chagrin pour Charles. Le 19 octobre 1905 c’était la mort de l’oncle Lucien. La veille, on était venu nous réveiller en pleine nuit car il allait très mal. Charles était descendu à peine vêtu et il faisait un froid glacial. Il remonta transi et le lendemain près du lit d’agonie de son oncle, il était pris d’une congestion pulmonaire dont il ne devait jamais se remettre complètement. Le 21 février 1906, nous perdions notre chère Paulette.

Charles pour surmonter son chagrin se consacra plus que jamais à ses revues et aux travaux de folklore qui le passionnaient. Il réserva une pièce de notre maison aux objets populaires qu’il ramassait un peu partout et qu’il donna plus tard en grande partie au Musée Lorrain, quand il fut nommé Conservateur et organisa sa salle d’art populaire en 1911. Avant, il avait installé pour l’exposition de Nancy, en 1909, une reconstitution d’intérieur lorrain dans une des chambres de la maison alsacienne qui était déjà un embryon du musée. Charles, de concert avec Fucher travaillait alors au gros mouvement d’indépendance française qui se manifestait à Strasbourg. Une société de conférences, sous le patronage des Annales, avait été organisée. Charles avait donnée à Nancy une conférence sur les chansons lorraines qui avait été fort appréciée. Il les répéta à Strasbourg en 1911, avec le concours de jeunes femmes alsaciennes pour chanter les rondes et les chansons. La même année, il fit une tournée de conférences sur le même sujet à Luxembourg, à Metz, à Épinal, à Saint Dié. C’est aussi en 1911 que Charles fit le voyage de Maillanne pour aller voir Mistral qu’il admirait beaucoup. Il visita avec lui le musée arlatan, y prenant comme au musée alsacien, des idées pour l’aménagement de sa salle d’art rustique. Bien qu’homme d’intérieur, aimant son chez lui, Charles qui était la vie même, aimait les voyages. Étudiant il était de tous les congrès, soit en Belgique, soit dans le midi. Plus tard, il avait visité l’ Italie, l’Angleterre, l’Allemagne, après la guerre, le Maroc, la Tunisie, rapportant toujours des idées neuves.

Le 26 juin 1912, nous avions eu une fille Jeanne, A la mort de maman en janvier 1909, j’avais eu une fausse couche et un second accident en 1911 nous avait fait craindre de ne plus avoir d’enfants. Cette naissance combla donc nos vœux les plus chers. Elle était suivie le 24 janvier 1914 de la naissance de notre fille Madeleine.

La guerre nous surprit en plein bonheur. Nous étions à Raon quand on commença à en parler. Charles n’y croyait pas et j’eu beaucoup de mal à le décider de regagner Nancy où je voulais le remplacer à la Direction du portefeuille d’assurances pour la durée des hostilités. Il fut mobilisé au Fort de Dongermain, de la Place Toul, comme Maréchal des Logis (il avait fait en 1893 et 94, son service militaire au 8ème d’ Artillerie à Nancy). La vie monotone et inutile du fort, bien que coupée de fréquents voyages en fraude à Nancy lui pesait singulièrement. Fin 1914, il était sur sa demande, nommé avec au conseil de guerre à Toul. Au moment des grands bombardements par canon qui avaient commencé à Nancy le 1er janvier 1916, nous avons été le rejoindre à Toul de la fin février au mois d’avril.

Charles n’avait pas cessé depuis le début de la guerre de demander un poste aux armées. Son ami le Général Tanant le fit nommer en avril 1916 sous-lieutenant substitut au Conseil de guerre de la 3ème armée, alors après Bar le Duc. Après un trimestre scolaire à Nancy, nous avions été passer les vacances à Plombières et de là une année scolaire à Remiremont. En 1917, nous revenions passer les vacances à Raon. A cette époque, Charles quittait quelques temps la troisième armée pour le conseil de guerre de la 16ème division à Flavigny sur Moselle et dans l’ Argonne, puis il rentrait à la 3ème armée. Il cantonna successivement avec elle à Verberie dans l’ Oise, dans la Somme, etc…

Au début de 1918, il était question d’évacuer Raon où nous étions restés car une naissance s’annonçait. Je suppliai Charles de demander à rentrer à l’intérieur. Comme son âge l’y autorisait, j’irais le rejoindre pour mes couches là où il serait envoyé.

En février 1918, il était nommé substitut et lieutenant au Conseil de guerre de Tours. C’est là que notre fils Paul est né le 1er mai 1918. Nous avions trouvé un appartement assez vaste et fait venir de Nancy notre mobilier, mis ainsi à l’abri des bombardements. Charles se retrouvait là en Lorraine et ne voulait même pas visiter la Touraine. Chaque dimanche, il montait à la Béchellerie pour voir Anatole France qui, ce jour là, réunissait chez lui tous les intellectuels que les hasards de la guerre avaient amenés à Tours. Les gens les plus divers s’y rencontraient et souvent les discussions étaient vives. Je revois Charles poussé à bout par les raisonnements d’un groupe de socialistes avancés, criant et se démenant de telle sorte que je crus bon de le prendre par les épaules et de l’emmener, pendant qu’Anatole France me disait avec un sourire sceptique « Laissez-le donc, il s’amuse tellement. ».

En octobre 1918, Charles avait obtenu un congé assez long pour s’occuper de l’emprunt, il était donc en Lorraine pour l’armistice. Ce fut une des grandes joies de sa vie de partir avec Louis Madelin en Lorraine délivrée. Avec Barrès qui l’avait pris comme secrétaire, il entra à Metz d’où il écrivait à Marie Sérot «  je couche dans votre lit, je suis ivre. » Que dire de l’entrée triomphale à Strasbourg, magnifiquement organisée par son ami Fucher, qu’il fit avec nos troupes. Il me revint à Tours, enthousiasmé, navré seulement de n’avoir pas osé demander une prolongation de congé qui lui aurait permis d’assister à l’entrée triomphale de nos troupes à Metz.

Ce n’est qu’en février 1919 que nous pûmes rentrer à Nancy et reprendre une vie normale. Charles voyait devant lui une besogne énorme. Il reprit la publication du Pays Lorrain que la guerre avait interrompue et qui alors ne s’appela plus que le Pays Lorrain tout court. Avec Barrès, il faisait de la propagande française en Sarre, il s’est occupé activement du mouvement luxembourgeois, organisant à Nancy des journées luxembourgeoises, il a été navré le jour où le Luxembourg est passé sous l’influence belge. Il s’efforçait de resserrer les liens avec Metz et l’ Alsace. Il reprit ses travaux de folklore, il publia dans la Vie à la Campagne un fascicule sur le mobilier rustique en Lorraine puis dans la collection de Philippe Las Cases, parut chez Ollencorf : « L’art rustique en Lorraine. ».

En décembre 1919, V. Brajon et Verlot lui offrirent de se présenter au conseil général des Vosges. Pour lui c’était reprendre la place de son père et tâcher comme lui de faire du bien à son cher Raon. Mais, je le voyais déjà pris par tant de choses que je redoutais un surcroît de fatigue et je tâchai de l’empêcher de se présenter. Ce fut, je crois, le seul dissentiment grave de notre ménage, mais je dus m’incliner devant la volonté de Charles qui était élu Conseiller Général du Canton de Raon en décembre 1919. Il devait être réélu en 1925, après une campagne assez dure et on peut dire que ce mandat politique usa sa santé. Il avait voulu réaliser l’union des parties, relever son canton des ruines de la guerre, y faire du bien et ne pas faire de politique dans mauvais sens du mot.

Les générosités américaines et l’appui de Verlot lui avaient permis d’organiser dès 1920, dans son canton des consultation de nourrissons. En 1923, un don obtenu grâce à l’intervention de Mme Saugnier, Directrice des œuvres de province de l’ Union des femmes de France, lui permettait de fonder dans un pavillon de l’hôpital de Raon, avec l’aide de la Fédération d’hygiène sociale, des consultations anti-tuberculeuses. Les deux œuvres que je m’attache à continuer ont fait et continueront à faire le plus grand bien au pays.

Il avait repris ses conférences sur la chanson Lorraine, y avait ajouté une conférence sur la cuisine Lorraine, sur la sorcellerie en Lorraine, et il aimait à les répéter à Metz, Saint-Dié, Épinal, Luxembourg, etc. Dans ses recherches aux archives, il avait découvert un dossier relatif aux frères Baillard qui servit à Barrès pour sa Colline Inspirée. En 1923,  il avait repris la publication de la Revue Lorraine, aidé par M.Heck des Arts Graphiques. Il avait organisé un comité pour la sauvegarde de la maison de Claude Gellée à Chamagne. Rien de ce qui touchait la Lorraine ne lui était étranger. Il avait fondé à Nancy l’association des écrivains Lorrains, dont il était président ; son cher musée Lorrain l’absorbait plus que jamais. En 1927, il publiait chez Massin dans la collection « l’art régional en France » un luxueux album sur le mobilier Lorrain et en 1930, en préparait un autre sur les châteaux en Lorraine. Il collaborait à l’art populaire en France édité à Strasbourg. Tout cela l’épuisait. Dès 1924, il avait dû aller faire une saison au Mont Dore pour soigner un emphysème commençant, mais il aurait fallu se ménager, prendre des précautions, c’était contraire à sa nature.

En 1929, il avait été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur par le Ministère de l’Institution Publique, ce fut pour lui une grande joie. Ses amis qui étaient nombreux voulurent célébrer en 1930 le jubilé du Pays Lorrain et firent graver une médaille à l’effigie de Charles par son ami Prouvé. On fit coïncider le jubilé et la remise de décoration par le Général Lyautey, dans une cérémonie intime qui toucha profondément Charles.

Le 22 mai 1930, il se décidait à prononcer son discours de réception à l’Académie de Stanislas, discours remis depuis 17 ans. Il avait choisi comme sujet « Le Sotret ». Il voulait éditer un livre sur la sorcellerie, sur les chansons, sur les faïences, sur la cuisine Lorraine, il avait amassé des notes pour un gros ouvrage sur le patois Lorrain, il fallait pour cela du temps. Mais sa santé continuait à s’altérer, son emphysème augmentait. En septembre 1930, je ne pus l’empêcher de prendre part à un congrès de Folklore qui se tenait en Belgique. Il y était le seul Folkloriste français et je crois qu’une trentaine de nations étaient représentées. Il fit à Bruxelles un exposé lumineux sur les traditions et coutumes populaires en France, et surtout de Lorraine, mais il avait pris froid sur l’ Escaut à Anvers, et il eut un début de congestion le lendemain à Liège. Je le ramenai bien fatigué à Raon. J’y revenais avec lui le 5 octobre pour l’inauguration du monument aux morts de la guerre. Cédant à ses instances, Albert Lebrun, maintenant Président de la République, un vieil ami de Lycée, était venu présider la cérémonie. Charles fit à cette occasion son dernier discours à ses chers Raonnais. En venant à Raon, à la Toussaint, il avait repris une grippe dont il n’arrivait pas à se débarrasser et le docteur que j’avais appelé avant de venir comme d’habitude à Raon pour la distribution de vêtements de Saint Nicolas à nos nourrissons, lui avait interdit de sortir.

Le 6 décembre au matin, il me téléphonait qu’il allait mieux et partait faire une conférence sur la cuisine à Château-Salins, comme je le suppliais de ne n’en rien faire, il raccrocha l’appareil.

Le soir, il prononçait sa dernière conférence et le lendemain, il arrivait à Raon pour présider comme d’habitude la fête de Saint Nicolas. Il était visiblement malade, mais ne voulait pas en convenir. De retour à Nancy, le 11 décembre, il s’alitait, frappé d’une congestion pulmonaire aggravé par l’emphysème. Le 15 décembre, il mourut paisiblement, sans grandes souffrances, ayant retrouvé sur son lit une nouvelle jeunesse et le sourire qui lui était habituel.

Cette mort en pleine action était celle qui lui convenait, jamais il n’aurai pu se résigner aux misères de la vieillesse. On vit à son enterrement combien il était aimé et apprécié. Ses amis Raonnais ont tenu à apposer une plaque sur la maison de mes parents, reprise par nous en 1909 et où Charles avait mené une vie si pleine, si active et rendu tant de services à ses compatriotes. Les écrivains Lorrains ont fait poser une plaque sa tombe au premier anniversaire de sa mort. Le Pays Lorrain devenu une revue plus luxueuse (car, il s’est fondu avec la Revue Lorraine) continue à paraître, grâce au dévouement de mon beau frère Louis et de M.Marot, le Musée Lorrain a donné le nom de Charles Sadoul à la salle d’objets populaires qu’il y avait installée. De nombreux articles lui ont été consacrés dans des revues, dans des journaux. Il aimait à dire en riant : « On m’appréciera seulement après ma mort » et combien il avait raison.

Le vide qu’il laisse est immense dans ses œuvres et plus encore dans sa famille dont il était l’âme, car ses nombreuses occupations ne l’empêchaient pas d’être un père tendre, n’aimant rient tant que d’être entouré de ses enfants, partageant toutes leurs joies et s’intéressant à toute leur vie, sachant rester jeune pour mieux les comprendre. J’espère qu’ils n’oublieront jamais ce que leur père a été pour eux et garderont l’amour de la famille qui était si profondément enraciné dans son cœur.

Pour moi, après trente et un ans de mariage, Charles était resté le mari très tendre qui m’écrivait en 1910, au moment de suivre la 3ème armée dans le Nord, une lettre touchante où nos enfants trouveront plus tard le reflet de notre amour. Il a emporté le meilleur de moi même et tout le bonheur de ma vie.