Le Conseil Souverain d'Alsace

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L' Alsace a été réunie à la France par le traité de Westphalie. Elle avait une unité géographique, mais était une véritable mosaïque de seigneuries, laïques, ecclésiastiques et urbaines, grandes et petites, relevant de l'Empire mais presque indépendantes. Les terres des archiducs d'Autriche y occupaient une grande place. En gros, la Haute-alsace, avec le Sundgau, les seigneuries de Landser et de Belfort, le comté de Ferrette, le Val de Villé, la ville de Brisach et des vassaux directs: les seigneurs de Ribeaupierre. Le comte de Montbéliard y avait les seigneuries de Hombourg et de Riquewihr. En Basse-alsace, une poussière de petites seigneuries étaient réunies en une sorte de syndicat: le Directoire de la noblesse de Basse-alsace.

D'autres relevaient du duc de Deux-ponts, du prince palatin de Birkenfeld, du margrave de Bade, du duc de Lorraine et autres princes d’Empire. A ceci s'ajoute les possessions ecclésiastiques: les évêques de Strasbourg avaient 7 bailliages en Basse-alsace, trois en Haute-alsace: le Mundat de Rouffach, de nombreuses abbayes dont celles d'Andlau dont l'abbesse était princesse d'Empire, celles de Neubourg, Murbach, Munster et Marmoutier.

Strasbourg formait une petite république avec 50 villes ou villages. II y avait la Décapole (voir plus haut) dont le grand-bailli, l'archiduc d'Autriche, était également seigneur d'une quarantaine de villages

Après 1648, une incertitude régna sur la véritable signification des clauses du traité de Westphalie à l'égard de l'Alsace. Pour les uns, le roi de France était simplement substitué aux archiducs d'Autriche comme Landgrave de Haute-alsace et grand-bailli de la Préfecture impériale de Haguenau. Pour d'autres, l'Alsace entière était cédée en pleine souveraineté à la France.

Louis XIV souhaitait pouvoir établir sa domination en Alsace le plus rapidement possible. Toutefois, il ne pouvait le faire sans rencontrer l'opposition d'une part des villes et seigneuries d'Alsace qui continuaient à jouir du privilège d’immédiateté vis-à-vis de l'Empire, d'autre part, de l'empereur lui-même qui n'entendait pas perdre tous ses droits en Alsace.

Pour ne pas brusquer les parties en présence, Louis XIV décida de créer non pas un parlement comme dans les autres provinces Françaises, mais un Conseil Souverain. Pour ce faire, la Chambre de justice de Brisach (issue de la régence Autrichienne) fut renommée en Chambre Royale de Brisach. Elle avait pour mission de rendre la justice "selon les loix ordinaires et coustumes du pays".

En 1657, la Chambre Royale fut remplacée par un Conseil Souverain d'Alsace. Le roi lui assignait comme missions : "1'exercice de la justice", "le maintien de nos droits", "sans rien innover aux lois, constitutions et coutumes gardées jusqu'à présent dans ledit pays".

Le maintien, ou plus exactement la revendication des droits du roi, fut sa première préoccupation.

Le jeune intendant Colbert de Croissy fut le"promoteur" et le premier président du Conseil souverain qui s'établit à Ensisheim. Comme ce Conseil devait être un instrument que le roi pouvait manier à sa guise pour établir sa souveraineté en Alsace, les membres furent soigneusement choisis dans cet objectif.

Sa compétence s'étendit sans précisions à la Haute et Basse-alsace, au Sundgau, à la Préfecture des archiducs, les seigneurs "immédiats" continuèrent à porter leurs appels civils à la Chambre de Spire. Les villes de la décapole n'acceptèrent pas l’édit de 1657 sans protestations.

Créé en Septembre 1657, le Conseil souverain n'entra en fonction qu'en 1658.

Par un édit de Novembre 1661, le Conseil fut transformé en conseil provincial dépendant du Parlement de Metz, probablement parce que 1'intendant Colbert résidait à Metz et était devenu également intendant des trois évêchés.

Devant les protestations des Alsaciens répugnant à être soumis à la juridiction d'une cour à l'intérieur de la France, le roi renonça à la division de l'Alsace en bailliages.

Le Conseil provincial qui siégea d'abord à Ensisheim, fut en 1674 transféré à Brisach. Par édit de Novembre 1679, La juridiction souveraine lui fut rendue A partir de janvier 1680. Le Conseil commença à jouir d'une certaine popu1arité à Ia suite de plusieurs arrêts salutaires dont celui de Septembre 1679 qui interdisait aux seigneurs de rendre la justice eux-mêmes. Le véritable but du roi en rétab1issant la juridiction souveraine était de lui permettre de rendre les arrêts de réunion qui devaient étendre son ressort et la souveraineté du roi progressivement à toute l'Alsace. Dès lors, les appels ne purent plus être portés hors frontière à Spire ou Rottweil.

L'édit de Novembre 1679 complété par la déclaration de Juillet 1680 donna aux officiers du Conseil souverain les attributs des membres des cours souveraines, autre étape vers son assimilation avec les parlements.

En 1681, nouveau transfert dans la ville nouvelle: Ville-neuve de Brisach (ville de paille). L'activité y fut faible et les procès rares pendant la guerre et après le traité de Nimègue par suite de 1'appauvrissement de la province..

Une nouvelle étape fut franchie suite à un édit de 1694 qui augmentait considérablement le nombre des officiers de la compagnie, y créant une seconde chambre, et donnait corps à une chancellerie déjà créée par lettres patentes de 1675 et, finalement, établissait la vénalité et l'hérédité des charges. Ces transformations provoquèrent un grand désordre. Le Conseil ne fonctionna conformément à cette nouvelle organisation qu'en 1680.

A la suite du traité de Ryswick en 1697, Ia ville de Ville-neuve de Brisach fut rasée ce qui entraîna un nouveau transfert à Colmar, le dernier.

Du fait d'événements militaires au 18ème siècle, les archives furent transportées à Selestat en 1702-3. En 1704, le Conseil demanda son évacuation à Strasbourg qui lui fut refusé. Par contre, en 1709 il déménagea A Sélestat suite à l'entrée des troupes impériales en Haute-alsace.

Sur l'ordre du chancelier qui lui reprocha sa précipitation, il retourna définitivement à Colmar le mois suivant.

Après la création d'un 2ème office d'avocat général en 1711, le Conseil souverain d'Alsace fut définitivement constitué. II était enfin devenu un parlement. En 1714, le traité de Rastadt mettait fin à une longue période de guerre et confirmait définitivement à la France la possession de l'Alsace jusqu'à Landau.

Il resta pour le Conseil le devoir de maintenir, conformément aux traités de paix, les anciens privilèges des Alsaciens. Le Conseil fut probablement le premier corps à les défendre globalement. II en resta aussi une organisation judiciaire du ressort très différente des autres provinces Françaises: un tribunal d'appel unique (le Conseil souverain) mais aussi des justices de base auxquelles le roi n'avait rien touché, et aucune juridiction intermédiaire dans une grande partie de l'Alsace.

Pour l'anecdote, il est amusant de constater que déjà à cette époque la productivité des fonctionnaires était critiquée: L'intendant La Grange avait cru pouvoir dire "le Conseil supérieur d'Alsace est composé de très honnestes gens, mais on peut dire que la justice s'y rend lentement; les officiers ne travaillent pas assez "...

En fait, le bilan est loin d'être négatif sur le plan de l’organisation judiciaire: il avait institué l’enregistrement des sentences, réglementé les appels, taxé les droits de greffe, ceux des avocats, secrétaires, interprètes, huissiers et sergents, interdit les renvois abusifs à un accommodement amiable ou au prévôt des maréchaux lorsque l'accusé était insolvable, organisé l'activité des secrétaire-interprètes; on avait enjoint aux évêques de ne plus connaître des affaires temporelles; les seigneurs justiciers avaient été empêchés de créer des juridictions intermédiaires.

Les plaideurs ne pouvaient que se réjouir d'être ainsi protégés contre une prolifération de juridictions. Les seigneurs avaient été appe1és à ne plus rendre la justice eux-même, à ne pas juger les affaires de leurs parents et fermiers et à prohiber les parentés et alliances de leurs juges. Le Conseil aurait pu, plus tard, s'appliquer avec profit sa propre réglementation!.

Après une interruption forcée de cinq mois en 1788, le Conseil continua à fonctionner semble-t-il à la satisfaction générale, jusqu'à sa dissolution le 30 Septembre 1790, suite à l'article 16 d'une déclaration de l’Assemblée nationale des 6,7 et 23 Septembre 1790. Il semble que ce fut un jour terrible pour les habitants de Colmar soudainement privés de la cour supérieure et occasionnant la ruine d'une grande partie des habitants. Pour "indemniser" la ville de la perte du Conseil, l'Assemblée nationale y fixa le chef-lieu du Département du Haut-Rhin.

Le Conseil souverain a joué un rôle important entre sa création et sa dissolution. Seule cour royale, Cie Conseil souverain était en même temps bailliage, présidial, table de marbre après 1771 et parlement. Suivant la résidence du plaideur où le lieu du délit, il devait être tout à la fois ou seulement cour d'appel. Par exemple, le Conseil était consistoire suprême pour les luthériens, juge en appel des sentences des rabbins, pour des formalités qui , identiques, étaient civiles pour les chrétiens et religieuses pour les juifs. Parlement, le Conseil enregistrait et adressait au roi des remontrances, homologuait/prenait des arrêts de règlement. Il était chambre des comptes en ce qu'il recevait les devoirs féodaux.

Deux descendants de la branche NITHARD de Rixheim (Joseph Nithard et Joseph Théobald Nithard) ont été successivement procureurs auprès du Conseil souverain.

Le Conseil eut à réprimer toutes sortes d'abus dans les fonctions des procureurs. L'allongement des écritures d'abord qui augmentait les émoluments: ils transcrivaient beaucoup d'indications inutiles, occupaient de la place en écrivant gros et en espaçant les mots (trois ou quatre syllabes par ligne...) multipliaient les "journées" pour porter les pièces à la chancellerie, au greffe, à l'archivaire et les en retirer, remplissaient des déclarations de dépens d'à-venir inutiles. Cela leur était d'autant plus facile qu'ils étaient soutenus par les taxateurs des dépens, le produit des taxes étant partagé entre tous les membres de la communauté. L'allongement des procès ensuite, les procureurs, dans l’intérêt des clients, s'ingéniant à présenter des pièces inutiles et créer des incidents. Enfin, le Conseil reprochait aux procureurs de manquer de réserve: outre les injures dans les écritures, murmures pendant les plaidoiries, on interrompait les avocats et on poussait des "clameurs aussy contraires qu'inutiles pour le bien des parties" pendant les délibérations des juges !!!

L'histoire ne dit pas si nos deux procureurs successifs (Joseph Nithard et Joseph Theobald Nithard) correspondaient ou non à cette description un peu caricaturale, mais probablement assez réaliste...

En ce qui concerne Joseph Nithard, nous retiendrons qu'il fut le premier à remplir la charge de garde des archives suite à un édit de janvier 1703 enregistré au Conseil souverain le 14 Mars 1709. Le garde des archives était chargé de la conservation des registres d'enregistrement, de la délivrance d'extraits de ces registres, et de la signature des déclarations de dépens, dommages et intérêts et autres frais qui étaient faites à la fin des procès.

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J'ai deux jugements concernant les Nithart de Riedisheim: Un premier concernant un droit de passage de J. J Nithart (premier Nithart à s'installer à Riedisheim en provenance d'Eschentzwiller) et un 2ème de 41 pages concernant un procès, juste avant la révolution, entre les héritiers de Jacques Nithard, curé d'Eglingen contre Laurent Hebner et Catherine Nithart, tous de Riedisheim. Pour des raisons pratiques, seul le premier est inclus 

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